leonardo ai
Banaoasy, le marchand de cendre
Chaque fois qu’il y avait une fête au village, Banaoasy se prenait à espérer...souhaitant manger autre chose que la tête ou les tibias du bœuf que l’on venait de sacrifier. Mais sikafara après sikafara, c’étaient bien les seuls morceaux qu’on lui reservait.
Il faut dire qu’il était pauvre et au fond, il aurait dû s‘estimer heureux qu’on ne l’oublie pas tout à fait.
Par habitude, il gardait tous les os après avoir rongé la viande jusqu’au dernier bout. Il finit par en posseder un tas énorme et il se décida à les brûler. Ne sachant que faire de cette cendre, il en remplit un sac et y ajouta la dernière tête de bœuf qui achevait de se pourrir. Puis, ne sachant que faire de ce sac, il le chargea sur son épaule et marcha vers le Village-dont-la-porte-s’ouvre-au-Nord. Tout en marchant il eut une idée.
Arrivé devant le village , il suspendit le sac devant la grande porte de pierre, entra et dit au Chef du village :
-Je suis chargé par notre Roi, celui-qui-a-tué-de-sa-main-cent-guerriers, de transporter les ossements de son fils bien aimé au pays de l’émyrne où sont tous les tombeaux des Rois. Prépare-moi une case bien propre et bien orientée où je passerai la nuit auprès de ce dépôt précieux avant de reprendre ma route demain, dès que l’Oeil-du-Jour sortira de la Grande-Eau.
Un langage si digne impressionne le Chef. Il rassembla tous les habitants pour leur transmettre la nouvelle, car tout ce qui était royal devait être honoré.
Puis, ils se dirigèrent vers la porte afin de faire escorte à ce fardeau précieux jusqu’à la case choisie.
Mais le sac étair déjà entouré de tout un autre peuple. C’était des corbeaux que la tête pourrie du bœuf avait attirés.
Alors Banaoasy se mit dans une grande et noble colère :
-Ah!Ah!s’écrit-il, c’est donc ainsi que le Fils du Roi est reçu dans ce village… C’est de cette façon que vous respectez des restes aussi sacrés ? Lorsque le Roi apprendra que le corps de son fils a été mis en patûre aux corbeaux, sa colère sera tarrible, je le crains.
Les gens étaient consternés et le Chef essaya de calmer Banaoasy qui ne cessait de proférer des menaces; il le suppliait de ne rien dire au Roi et d’accepter un sac de piastres d’argent pesant le même poids que l’autre sac.
Banaoasy consentit à se taire à ce prix. Mais il refusa énérgiquement de passer là le reste de la nuit. Il chargea les deux sacs sur ses épaules et s’en alla.
Il retourna à son village, mais en longeant la plage, il jeta le sac
de cendre dans la mer.
Il se rendit aussitôt à la case du Roi
et demanda une audience qui pouvait être accordée sur-le-champ, si
le cas était urgent.
-Seigneur, dit Banaoasy, je viens deposer à tes peids ce que je ne suis pas digne de garder pour moi. Tu sais pourtant combien je suis pauvre puisque tu daignes, à chaque sikafara, m’octroyer une magnifique tête de bœuf et un ou deux tibias pour ma nourriture. Je rends grâce à ta bonté et te supplie d’accepter cet humble présent en signe de grande reconnaissance.
Le Roi, étonné, le pressa de quesions,
-Seigneur, ces tibias et ces têtes ne m’appartiennent pas. Je devais m’acquitter envers toi de tant de générosité et je les ai brûlés…
-Brûlés ? Dit le Roi en colère ? Est-ce ainsi que tu me prouves ta reconnaissance ?
-Je m’excuse de mettre ta patience légendaire à une si rude épreuve, mais il faut que je t’explique ce que j’ai imaginé pour payer ma dette envers toi.
-Eh bien, m’expliqueras-tu enfin? éclata le roi. Que m’apportes-tu là ?
-J’ai brûlé, dis-je, ces excellents tibias et ces têtes si délicieuses dont je me suis régalé depuis de longues années en bénissant ton nom à chaque bouchée et cette cendre…
Le roi, hors de lui, prit sa longue sagaie cerclée d'or et l'enfonça dans le sac avec rage.
- je traverserai le corps comme je traverse ce sac plein de cendres si tu …
Mais il ne poursuivit pas plus loin sa menace car les belles piastres d'argent s’écoulait par la déchirure.
-Je viens donc déposer à tes pieds cette misérable somme, expliqua Banaosy. J’ai vendu la cendre au Village-dont- la- porte -s’ouvre-au-nord me l’a achetée, à un bon prix car je leur ai expliqué qu'elle provenait de tes bœufs et c'était pour eux un insigne honneur que de posséder de la cendre de tels bœufs, tout ce qui touche de près ou de loin à ta majesté est chez eux l'objet d'un culte spécial.
Celui-qui-a-tué-de-sa-main-cent-guerriers était si plein d'orgueil qu'il ne mit pas en doute une seule seconde cette histoire extraordinaire.
Il convoqua aussitôt son peuple sur la place des kabary et sauta sur l’estrade. C'était aussi l'occasion de faire un beau discours :
-Que ceux qui m'entourent m'écoutent, commença-t-il. Ce jour nous est favorable et Zanahary nous aime...Il est inutile désormais de vous fatiguer et l'argent va couler vers vous comme le fleuve Menabé. Et savez-vous qui Zanahary a choisi pour nous apporter tant de félicité ? C’est Banaosy, Banaoasy que nous avions méconnu…
Ah ! Nous l’avions méconnu en vérité…
-Mais il vient pour me prouver mieux qu’aucun de vous qu’il est le plus fidèle d’entre mes fidèles sujets ...Et voilà ce qu’il a fait pour me servir…
-Et qu’a-t-il fait pour te servir ?
Alors le Seigneur expliqua l’affaire merveilleuse.
IIs
lui ont donné
un sac de piastres contre un sac de cendre ? Répéta le peuple.
Puisque c’est Toi qui le dis, nous te croyons Celui
-qui-de-sa-main-tua-cent-guerriers
Seul l’Oumbiasche, le-sorcier-qui-lit-dans-les-choses-éloignées-et-secrètes, ne disait rien.
Accroupi dans son coin , il hochait la tête , mais le roi le foudroya du regard et cria d’une voix de tonnerre :
- Y a-t-il parmi vous qui ose dire le contraire quand moi je l'affirme ?
Alors l’Oumbiasche cria plus fort que les autres :
-Que la bouche de ceux qui disent le contraire soit cousue. Tu es notre père et notre mère et tes paroles sont plus vraies que la vérité elle-même.
-Alors, écoutez bien ceci, continua le Seigneur, Que tous ceux qui possèdent des troupeaux les tuent et qu’on tue les miens aussi. Qu’on les brûle et q’on apporte les cendres au Village-dont-la-porte-s’ouvre-au-nord et là-bas , qu’ils vous rendent des sacs d’argent contre vos sacs de cendre.
Ce fut une belle hecatombe de zébus. Et pendant que les gens se gorgeaient de viande et de betsabetsa ils brûlaient au fur et à mesure les bas morceaux et le village disparut sous des torrents de fumée puante pendant plusieurs jours.
Il n’y avait plus un bœuf dans les parcs mais ce fut une fête vraiment superbe, au rythme des chants et des danses.
Lorsque tout fut brûlé et mis en sacs, les hommes valides les chargèrent sur leurs dos et se mirent en route. Banaoasy s’est prudemment retiré chez sa mère de l’autre côté du fleuve. Quand au sorcier, prétextant un malade à soigner, il ne prit pas part à l'expédition. Le roi qui avait tellement mangé et bu se retira dans sa case et s'endormit en rêvant aux innombrables pièces d’argent qui allaient remplir ses coffres.
Les braves gens arriverent donc au village-dont-la-porte-s’ouvre-au-nord et ayant déposé leur charge ils commencerent tout d'abord à échanger les politesses d’usage avec le chef qui les reçut fort dignement.
-Soyez les bienvenus parmi nous, leur dit-il, je suis heureux que vous ayez choisi mon village pour vous proposer.
les autres répondirent aussi aimablement.
Et ils parlèrent...parlèrent...enfin le-plus-vieux-du- village dit :
-Les paroles passent comme le vent... mais les actions restent dans une bonne terre
-Et bien nous vous avons donc apporté cette excellente cendre de têtes de bœuf que vous appréciez tant et que vous allez échanger contre ces excellentes piastres d'argent, répondirent les envoyés du roi.
Le chef se fâcha en entendant de tels propos et les chassa. Puis il fit rouler derrière eux le grand disque de pierre qui fermait la porte du village.
-Nous aurions dû nous tromper, ce n'est pas ici, se dirent les braves gens en rechargeant les sacs sur leurs épaules.
Ils se rendirent au pays voisin où la même cérémonie se renouvella. Mais sans se décourager ils en visitèrent une dizaine d'autres avant de comprendre que Banaoasy s’était moqué d’eux. Ils n’avaient plus qu’à retourner chez eux et ils jetterent en passant les sacs inutiles dans la mer.
Il est trop difficile de décrire la colère du roi lorsqu'il apprit cet échec. Il rassembla aussitôt le peuple sur la place des kabary
- Il nous a trompés, cria-t-il de sa voix de tonnerre, je veux le tuer de ma main qui a tué cent guerriers. Qu’on me l’amène.
L’Oumbiache riait doucement derrière sa longue main et murmurait :
-Rano andrama laly mimpoly marivo mitsake , ce qui veut dire à peu près : il faut toujours essayer avant de dire que quelque chose est impossible.
Mais pendant ce temps Banaoasy s’était déjà enfui bien loin et le Roi décida incontinent sans même l’annoncer sur la place, une chose terrible.
-Qu’on brûle la maison de sa mère et la mère avec, ordonna-t-il.
On mit le feu à la case et la pauvre femme ne fut bientôt elle-même, plus que du cendre.
Banaoasy, lorsqu'il revint tard dans la nuit, rassembla ce qui restait de sa mère il en remplit un sac puis il marcha longtemps…
Près d'un village, il vit des enfants qui jouaient et il les appela après avoir suspendu le sac à un arbre.
-Prenez chacun un bâton , leur dit-il , et frappez très fort sur ce sac, je donnerai une pièce d'argent à celui qui aura frappé le plus fort.
Puis il entra dans le village et annonça cette nouvelle étonnante :
-Ecoutez-moi : je suis venu me reposer ici car je transporte un lourd et précieux fardeau. La mère du roi est morte et je vais jusqu'au limite de la mer pour y porter ses cendres sacrées...Mais quel est ce bruit ? Dit-il tout à coup, feignant la surprise.
Il court vers le sac et se lamenta :
-Accourez tous pour voir cet horrible sacrilège.Vos enfants sont en train de battre ce trésor inestimable qui m'as été confié ils ont crevé le sac. Que va dire celui-qui-a-tue-de-sa-main-a tué-cent-guerrier. Ah ses colères sont terribles ! Il va venir et il incendiera votre village lorsqu'il apprendra cela.
-De grâce, supplièrent les pauvres gens terrorisés, ne lui dit rien et nous te donnerons le poids de ce sac en pièces d’argent.
Banaoasy ne répondit rien.
-Oui, oui, nous comprenons, ce n'est pas assez pour un tel crime. Ecoute nous te donnerons aussi un troupeau de bœufs.
- J'ai pitié de moi, de vous, dit Banaoasy. J’accepte. Puis il chargea son sac de cendre et son sac d’argent et il partit , suivi d’innombrable troupeau de bœufs. Arrivé sur la plage il lança le sac de cendres dans la mer.
Quand on le vit arriver, menant une multitude de bœufs ; tout le monde l’entoura. Mais il ne voulut rien dire et se précipita chez le Roi.
-Oh toi, lui déclara-t-il, le plus noble et le plus juste des Souverains, j’apppele à ton esprit d’équité. Sais-tu ce qu’ils m’ont fait : ils ont brûlé ma mère.
-Mais tu les as trompés, dit le roi en lorgnant le sac d'argent. Que m'apportes-tu là ? -Non, je ne les ai pas trompé c'est eux qui se sont trompés ils sont allés au village-dont- la-porte-s’ouvre-sur-le-Nord-Est au lieu de se présenter au village-dont-la-porte-s’ouvre- sur-le-Nord et ils ont cru que j'étais un imposteur...A ! ils ont brûlé ma mère ! C’est affreux ! J’ai recueilli ses cendres bien-aîmées et je les ai vendues au Village-dont-la-porte-souvre-au-nourd-ouest. Et ils m’ont donné cet argent et ils m'ont donné aussi ce troupeau.
Le roi réunit son peuple sur la place du Kabary :
-Que ceux qui veulent me croire m’écoutent et que les autres s’en aillent.
Mais personne ne bougea et l’Oumbiasche commença à ricaner derrière sa main longue et osseuse.
-Banaoasy ne vous a pas trompé, annonça le roi, et il vous pardonne, car les cendres des veilles femmes se vendent très bien. Brûlez toutes les femmes âgées et emportez la cendre au Village-dont-la-porte-s’ouvre-au-nord-ouest. Vous en tiriez non seulement une fortune mais d'autres bœufs.
-Androngo very lavake (comme un lézard qui a perdu son trou, ils ne savent ce qu’ils font) , murmura l’Oumbiasche.
Mais personne ne l'entendit et les vieilles femms furent brûlées et tout se passa exactement comme la première fois.
Quels mots seraient assez forts pour décrire la colère du Roi ? Cette fois, Banaoasy n’eut pas le temps de se sauver, il fut à la minute enfermé dans un sac et porté au bord de la mer pour y être jeté. Mais l'opération ne devait se faire qu'à la tombée de la nuit pour qu'il puisse méditer sur ses crimes.
Il était cette fois bien persuadé que sa dernière journée était venue. Tout à coup, il entendit marcher à côté de lui.
-Qui es-tu, cria Banaoasy.
-Je suis moi, dit l'homme.
- Où vas-tu ?
- Là où je trouverai une jolie femme très riche.Je voudrais me marier.
- Moi je suis fiancé à une princesse, dit Banaoasy, mais par jalousie on m’ a enfermé dans ce sac si je pouvais en sortir, j'irai vite chercher ma princesse et je te la cederai volontiers. Mais il faudra que tu prennes ma place pendant ce temps.
Ce qui fut fait. Puis le soir, tout le monde se rassembla sur la plage pour assister au supplice. Quelques-uns lancèrent des coups de pied dans le sac en injuriant Banaoasy. L’homme, épouvanté, suppliait.
-Non, non par pitié, en faites pas cela, je ne suis pas Banaoasy. Mais on ne voulut pas le croire et le sac fut jeté.
Quelques temps après, Banaoasy, qui voyageait bien loin de là, reussit à attrapper un chat sauvage à l’entrée d’un village. Il l’enferma dans un panier et se rendit chez le plus riche propriétaire du pays et lui dit :
-J'ai, dans ce panier, un talisman extraordinaire. Il vit et remue et cependant il est en bois. Il miaule chaque fois et cependant il n'a ni gorge ni bouche. Il m'a déjà accordé trois souhaits mais il n’en accorde pas davantage. Maintenant je dois le vendre à l'homme le plus intelligent que je rencontrerai.
-Eh bien, ce doit être moi, lui répondit l’autre. Combien en veux-tu ?
-Peu de choses : un lamba tout en soie, deux fusils cloûtés, et un sac de perles. L’homme riche trouva que ce n’était pas cher, puisque grâce à trois souhaits il aurait vite regagner tout cela au centuple.
-Seulement, recommanda Banaoasy, il en faut pas ouvrir le panier avant la tombée du jour, sans cela le talisman n’exaucera pas tes souhaits.
Chargé de ces choses précieuses il se rendit en hâte vers son village et entra chez le roi sans se faire annoncer. Celui-ci fut si étonné qu’il ne put prononcer une parole. Mais Banaosy se chargea de parler.
-O mon roi ! C’est bien moi ton fidèle Banaosy , ton humble sujet. Je sors directement de la mer où tu avais bien voulu me faire jeter ; j’ai vu tant de choses merveilleueses que je veux que tu en profites sans tarder. Lorsque j’arrivai au fond de l’eau je fus reçu par une foule de gens richement habillés… Il y avait là ton père et ta mère et la mienne. Ils vivent heureux dans un Palais magnifique et ils m’ont supplié d’aller te chercher et aussi tous ceux qui en sont dignes. Voici, en attendant , les cadeux qu’ils m’ont chargé de t’apporter, mais tu trouveras au fond des eaux des trésors bien plus précieux encore.
Le Roi appela aussitôt son peuple sur la palce et lui commanda :
-Que tout le monde se rassemble sur la plage et que chacun se munisse d’un sac. Nous allons nous rendre au pays d’où revient Banaosy. Voyez ce qu’il en a rapporté et tout cela n’est rien à côté de ce que nous trouverons là-bas.
Ils obéirent sans discuter, car ce que disait le Roi était plus vrai que la verité elle-même. Ils s’aiderent les uns les autres à entrer dans les sacs mais Banaoasy en choisit quelques uns pour les jeter à la mer, et aidé de l’oumbiasche, il lança le roi le premier, dans les flots
-A tout Seigneur tout honneur, lui dit-il en guise d’adieu.
-Maintenant je suis le roi Banaosy, suivez-moi.
Et tous le suivirent jusqu’à la case royale tandis que le sorcier murmurait :
-Tsy olo mavaka ja akanga, ce qui voulait dire à peu près, celui-là n’est pas embarrassé comme la pintade il sait ce qu’il veut.